Solution azotée, rien n'est encore joué

Droits antidumping sur la solution azotée: état des lieux au 4 avril 2019

A la demande de fabricants d’engrais situés en Pologne, en Lituanie, en Roumanie et en Espagne, la Commission européenne (CE) a ouvert le 13 août 2018 une enquête antidumping sur les importations de solution azotée (UAN) en provenance de Russie, de Trinité-et-Tobago et des Etats-Unis.

 

Mesures provisoires et mesures définitives

Le 27 mars 2019 a eu lieu à Bruxelles la première réunion sur le sujet du Comité de défense commerciale qui regroupe la Commission européenne et les représentants des 28 Etats membres. La Commission y a informé les Etats membres de son intention d’imposer des droits antidumping provisoires vers le 11 ou 12 avril. En effet, la Commission, à ce stade, considère qu’il existe un dumping et des dommages aux industriels plaignants, et les procédures communautaires lui imposent de prendre des mesures conservatoires et de proposer des taxes à l’importation.

Sur les mesures antidumping provisoires, les Etats membres ne donnent qu’un avis purement consultatif, c’est la Commission européenne qui décide. Cette décision dépend maintenant du collège des Commissaires et sera publiée au JOCE le 11/12 avril pour mise en œuvre immédiate.

Ces mesures provisoires consistent en des taxes sur les importations d’UAN en Europe, qui s’ajoutent aux droits de douane ordinaires actuels de 6,5%. Même si la CE a pour l’instant annoncé des droits ad valorem[1], elle peut encore modifier sa décision et il peut s’agir in fine de droits ad valorem, de droits fixes en €/tonne ou encore de droits activés en-dessous d’un prix de marché cible (« minimum import price »). Mais contrairement à des droits définitifs, ces droits provisoires ne sont pas à payer immédiatement par les importateurs. Il s’agit d’une garantie bancaire ou d’un séquestre à immobiliser par les importateurs[2] pour le cas où des droits définitifs seraient imposés ultérieurement. Pour les agriculteurs, cela va se traduire par une augmentation des prix, situation qui est d’ailleurs déjà anticipée par les opérateurs, car les importateurs ne prennent pas de risque et les droits provisoires seront inclus dans le prix de chaque tonne d’UAN importée à partir du 11 ou 12 avril.

Pour prendre des mesures définitives, la Commission doit maintenant évaluer l’intérêt de la mesure pour l’économie européenne et en particulier celui du secteur agricole, et elle devra passer par un vote des Etats membres, lors d’un prochain Comité de défense commerciale. Ce vote interviendra probablement fin juillet 2019 et au plus tard d’ici le 13 octobre après évaluation complète incluant le préjudice causé par ces mesures aux agriculteurs.

La Commission pourrait y présenter :

-Soit une proposition de non-imposition de droits antidumping, proposition que nous défendons

-soit une proposition d’imposition de droits antidumping définitifs suivie d’un vote des Etats membres

Dans ce second cas, les Etats membres peuvent bloquer la mise en place de droits définitifs si une majorité qualifiée[3] se prononce contre.

 

Les conséquences à court terme des mesures provisoires

Il est difficile de prévoir l’impact sur le marché de l’UAN des mesures antidumping provisoires qui seront mises en place le 11 ou 12 avril. Il dépend de 2 facteurs.

-Les anticipations : l’annonce de l’ouverture de l’enquête le 13 août 2018 a déjà eu un impact sur le marché en faisant augmenter les prix de l’UAN[4], en accélérant les achats de morte saison 2018 et en raréfiant les disponibilités d’UAN sur le printemps 2019. Les importateurs ont anticipé les mesures provisoires, et une partie du choc a déjà été absorbée par le marché

-La date (mi-avril) est tardive, la saison est très avancée, une grande partie du volume a déjà été livrée et utilisée par les agriculteurs, et le reste a déjà été importé et mis en stock dans les ports.

L’essentiel de l’enjeu économique concerne maintenant la saison 2019-20 (solution azotée utilisée en 2020) et les années suivantes. Il dépend donc non pas des droits provisoires d’avril 2019 mais de la décision sur les droits définitifs qui aura probablement lieu en juillet 2019.

 

Nous restons mobilisés d’ici juillet 2019

La France est de très loin le principal marché européen pour l’UAN (45% de la consommation). L’AGPB et la FNSEA ont réagi dès l’annonce du lancement de l’enquête et pris la tête des démarches de l’agriculture européenne à Bruxelles. L’AGPB, Coop de France-Métiers du grain, nos homologues anglais (NFU) et irlandais (IFA) ainsi que le Copa-Cogeca, notre syndicat professionnel européen, se sont officiellement portés parties prenantes dans l’enquête.

L’AGPB a mené des auditions à Bruxelles devant la Commission, à laquelle nous avons communiqué des informations sur la situation du marché ainsi que nos arguments contre l’imposition de mesures antidumping. Nous avons également rencontré les autorités françaises à plusieurs reprises.

Nous devons convaincre la Commission et les Etats membres du très fort impact qu’auraient les droits antidumping sur l’UAN pour l’agriculture et l’économie tout entière. La France importe 93% de son UAN dont la moitié en provenance des 3 pays ciblés. D’après nos estimations, l’annonce de l’enquête a déjà coûté aux agriculteurs français l’équivalent de 45 €/t UAN soit 100 M€/an[4], et des droits antidumping définitifs[5] représenteraient une charge supplémentaire de l’ordre de 50 €/t UAN soit 120 M€/an, d’où un coût total de 220 M€/an et de 1,1 milliard d’euros sur 5 ans, durée habituelle de ce type de mesures. 

L’action menée depuis août par l’AGPB et ses alliés a d’ores et déjà permis de fédérer un front d’opposition au niveau européen (mobilisation du Copa-Cogeca, implication du Commissaire Hogan et de la DG Agriculture), comme au niveau des autorités françaises. Nous allons poursuivre nos actions dans les semaines à venir auprès de notre gouvernement et de nos homologues des différents Etats membres pour qu’ils s’opposent avec force à cette démarche de la Commission. Cette position a déjà été clairement exprimée par l’AGPB, l’AGPM, la CGB, la FOP et la FNSEA.

 

Contact : Nicolas Ferenczi



[1] Leurs montants envisagés par la DG Commerce le 21 mars étaient de 16% pour l’UAN originaire de Trinité-et-Tobago, 23% pour celle des Etats-Unis et 39% pour celle importée de Russie

[2] En cas de décision en juillet 2019 de non-imposition de droits AD définitifs, la garantie ou le séquestre sera libéré. En cas d’imposition en juillet de droits AD définitifs, la garantie ou le séquestre sera appelé pour payer rétroactivement les taxes AD depuis avril (qui peuvent être d’un montant inférieur).

[3] 55% des EM soit 16 sur 28, ces EM représentant au moins 65 % de la population totale de l'UE

[4] Les prix ont augmenté sur le marché mondial et l’annonce de l’enquête a fait augmenter encore plus fortement les prix européens

[5] Avec une hypothèse de droits moyens de 26% et sans prendre en compte l’effet à la hausse sur l’ammonitrate

 

randomness