12° FORUM POUR LE FUTUR DE L’AGRICULTURE : DES DEBATS ANIMES SUR LE CHANGEMENT CLIMATIQUE !

Le 12° Forum pour le futur de l’agriculture s’est tenu à Bruxelles le 9 avril 2019, en présence de plus d’un millier de participants et d’intervenants de marque, dont Phil Hogan, commissaire européen à l’agriculture, Miguel Arias Canete, Commissaire à l’action climatique et à l’énergie, et Janez Potocnik, ancien Commissaire à l’environnement et président de la fondation RISE.
 
Parmi de nombreux débats consacrés à l’agriculture et l’environnement, le plus remarqué a certainement été la table ronde du matin intitulée : « Changement climatique, en faisons-nous assez ? »
En introduction, Miguel Arias Canete assurait que le programme cadre européen pour 2030 était dorénavant en place, ainsi qu’un objectif de neutralité carbone en 2050. En 2030, les émissions du secteur des sols et de la forêt doivent être compensées dans chaque Etat membre par le piégeage du carbone. De même, Chaque Etat membre a maintenant des objectifs nationaux de réduction de ses émissions diffuses, dont celle de méthane et de protoxyde d'azote de l’agriculture. Le secteur agricole peut et doit contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre par trois moyens :
- L’atténuation de ses émissions de méthane et de protoxyde d'azote. Contrairement à d’autres secteurs, ces émissions ne peuvent pas être supprimées mais elles peuvent être réduites d’1/3 avec les techniques actuelles, notamment la digestion anaérobie des effluents d’élevage et l’usage d’engrais azotés plus efficaces et moins émissifs.
- La substitution au carbone fossile par la fourniture de biomasse aux secteurs de l’énergie et de l’industrie, notamment la fabrication d’acier et de ciment, ce qui représente une opportunité et une nouvelle source de revenu potentiel pour les agriculteurs.
- Et enfin le potentiel important de séquestration du carbone dans les sols agricoles et dans la biomasse.
Daniel Calleja, Directeur général de la DG Environnement de la Commission européenne, assurait ensuite que la réforme de la PAC était indispensable au succès d’un tel plan, grâce au fait que les Etats membres auront plus de responsabilités, et grâce aux nouveaux outils proposés par la Commission comme les actions sur la biodiversité, les mesures incitatives de l’ecoscheme, les prairies permanentes, l’optimisation de la fertilisation, l’agriculture biologique et de conservation. 62% des agriculteurs pensent que la PZAC doit faire plus pour l’environnement.
Philippe Lamberts, député écologiste belge au Parlement européen, affirmait ensuite qu’aucun changement de paradigme n’était en cours : l’agriculture ne s’éloigne pas de son orientation productiviste. Le Canada grâce au CETA a obtenu d’exporter 120 000 tonnes supplémentaires de viande alors que nous en produisons assez. Dans l’autre sens, l’Europe ne doit pas nourrir le monde et ne doit donc pas exporter de produits alimentaires.
Jean-Marc Bournigal, Directeur général de l’AGPB présentait d’abord les trois leviers d’actions déjà cités par Miguel Canete : l’atténuation des émissions de méthane et de protoxyde d'azote ; le développement du rôle de puits de carbone par les sols agricoles, grâce à l’augmentation des rendements, la couverture des sols et la maximisation des résidus ; et la contribution à l’atténuation des émissions des autres secteurs en substitution de la biomasse au pétrole. Pour cela, l’agriculture doit produire à la fois plus et mieux, et les deux principales conditions sont l’innovation (génétique, NBT, biocontrôle, agronomie, agriculture de précision) et des politiques publiques plus cohérentes et incitatives. La certification est sans doute un moyen puissant pour produire mieux et le faire savoir.
Philippe Lamberts réagissait alors en ces termes : « vous dites que vous ne voulez rien changer, les marchés internationaux, la compétitivité, des exploitations plus grandes. Si vous voulez concurrencer les fermes géantes américaines et russes, cela veut dire toujours plus de monoculture, des plaines sans obstacles, pas de biodiversité, des engrais, des herbicides, des machines et du pétrole [..]. Ce n’est pas un changement de paradigme [..]. Vous défendez un modèle dominé par les grands propriétaires, le secteur financier et les Cargill au détriment des agriculteurs. Ceux qui veulent en sortir sont prisonniers de leurs dettes. Ne soyez pas surpris qu’ils se suicident. Je sais qui sont mes ennemis. »
Jean-Marc Bournigal répondait alors avec calme : « on peut toujours caricaturer les propos des autres. Le mouvement que nous proposons n’est pas de ne rien changer. Pour modifier un système de production, les rotations des cultures, il faut innover et non imiter le passé. L’innovation et le progrès ne sont pas systématiquement négatifs pour l’humanité, c’est tout le contraire. La génétique végétale, les NBT peuvent offrir de nombreux bénéfices comme la résistance à la sécheresse, aux maladies, une meilleure nutrition. Elles peuvent permettre aux agriculteurs de s’adapter aux changements climatiques et de répondre à la demande de la société. La robotique et le numérique n’ont rien à voir avec la taille des exploitations. Elles permettent de mettre la bonne dose au bon endroit et au bon moment, de contrôler l’impact de l’agriculture sur le milieu. La traçabilité, la certification, la segmentation, sont des moyens de répondre à la demande des citoyens et des consommateurs et de rajouter de la valeur [..]. Nous défendons un modèle basé sur des capitaux familiaux, ce n’est pas une question de taille et il ne s’agit pas d’imiter l’agriculture du passé.
Daniel Calleja réagissait dans le même sens, en soulignant qu’aucun des interlocuteurs présents ne recommandait de continuer comme avant. Ni même aucun des représentants des entreprises présentes au dernier forum de Davos, qui placent le changement climatique au premier rang de leurs préoccupations et de leurs priorités d’action. « La question à discuter est plutôt le degré d’ambition et la radicalité des changements, et la meilleure manière d’inciter les agriculteurs à produire des biens publics, c’est ce que nous proposons avec l’ecoscheme. »
Et Philippe Lamberts de répondre « la maison est en feu et nous devons nous adapter ? Voulez- vous ou pas plafonner les aides à la production ?»
Lesley Rankin, chercheuse à l’Institute for public policy research (IPPR), tentait alors de calmer le débat en soulignant que les agriculteurs font face à « une « tempête parfaite » : la nécessité de nourrir une population croissante, la demande des consommateurs d’une alimentation plus exigeante en ressources, la baisse des surfaces arables (-30% depuis le milieu du XX° siècle), la dégradation des sols (95% serait impropre à la culture en 2050) et la baisse des rendements sur les surfaces restant disponibles.
L’animatrice donnait alors la parole au public, où certains s’en prenaient vivement au député Lamberts : « Les Verts ne connaissent pas le monde dans lequel ils vivent. Ce que vous dites n’est pas basé sur la science mais sur votre idéologie ».
Philippe Lamberts répliquait alors « vous qualifiez d’idéologie les vérités qui ne vous arrangent pas ».
Plus sérieusement, à une question sur la raison pour laquelle l’Europe n’établit pas de taxe carbone sur les importations, Daniel Calleja répondait qu’il faut l’unanimité au niveau des Etats membres et que celle-ci n’est jamais réunie. Le maximum sur lequel les Etats membres ont réussi à s’entendre est le système des quotas d’émission sur les gros émetteurs de l’industrie et de l’énergie.
 
 
Nicolas Ferenczi
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