Réforme de la PAC: le grand pas en arrière de la Commission

Le 29 novembre 2017, la Commission européenne a publié sa Communication sur la future PAC intitulée « Le futur de l’alimentation et de l’agriculture ». Elle y propose un grand saut vers plus de subsidiarité, un principe déjà en œuvre dans la PAC actuelle et qui se verrait considérablement aggravé. En transférant vers chaque Etat membre les décisions stratégiques que sont la définition d’indicateurs de performance et de durabilité et la répartition nationale des soutiens, ce projet reviendrait à renoncer la dimension commune de notre politique agricole.

La situation actuelle de la Politique agricole commune

Aujourd’hui, le 1er pilier de la PAC, qui représente 70% de son budget, est consacré à des mesures communes, avec des paiements directs dont les critères d’éligibilité sont les mêmes pour tous les agriculteurs européens (notamment l’aide de base ou DPB, le paiement vert et les paiements couplés volontaires) et une cohérence d’ensemble sur le plan économique et environnemental. Le 1er piller permet à la fois de soutenir le revenu agricole en compensant les surcoûts de production liés aux normes européennes, et d’assurer la mise en œuvre de pratiques agricoles respectueuses de l’environnement.

L’ensemble de l'Europe est couverte par un tronc commun de règles environnementales appliquées par tous les agriculteurs. Les marges de manœuvre des Etats membres sont limitées et encadrées par des règles communes européennes, qui imposent notamment certains principes de verdissement (3 mesures largement homogènes) et de distribution des aides (convergence à l’hectare, plafonnement des paiements couplés et redistributifs, plafonnement des transferts entre piliers). Ces règles sont négociées avant leur mise en œuvre et inscrites dans les règlements de base, le dernier datant de 2013. En complément, 30% du budget de la PAC (2nd pilier) est géré de façon programmatique et flexible sur 7 ans par les Etats membres sur la base de projets. Cela permet de prendre en compte les spécificités et la diversité des situations locales en matière de développement rural.

La réforme proposée par la Commission européenne

Dans sa Communication, la Commission européenne propose de laisser les Etats membres définir leur plan stratégique et leur programmation pluriannuelle pour l’ensemble du 1er et du 2nd pilier de la PAC. Chacun de leur côté, les pays établiraient leurs propres règles d’attribution des aides et de gestion de la PAC. 100% du budget de la PAC serait géré à travers des cadres nationaux et non plus un cadre communautaire commun. La Commission se limiterait à évaluer et approuver les plans stratégiques nationaux et, le cas échéant, à des sanctions, en cas de non-respect des grands résultats à atteindre sur la base d’indicateurs eux aussi nationaux. Aux Etats membres (ou aux régions) de définir la répartition des aides PAC ainsi que les conditions pour y accéder, s’agissant aussi bien des critères environnementaux que des critères économiques. La PAC prendrait la forme de 27 politiques agricoles différentes, voir divergentes.

Les conséquences économiques de la réforme proposée

Au lieu des « marathons » des réformes précédentes, les négociations européennes se limiteraient à quelques grands objectifs à atteindre par les Etats membres pour avoir accès au budget commun. L’allocation des masses financières entre filières agricoles et entre agriculteurs, et notamment de l’enveloppe « paiements directs », ne se ferait plus à l’échelle européenne mais serait du ressort national. Chaque Etat membre ou région serait libre de concentrer son enveloppe PAC sur quelques filières pour satisfaire tel ou tel électorat ou pour prendre l’ascendant sur tel ou tel marché jugé prioritaire en jouant sur des coûts de production subventionnés au détriment de la valeur ajoutée.

Cette divergence entre choix nationaux est d’autant plus probable que la Communication de la Commission s’éloigne des objectifs économiques de la PAC et veut la rendre plus « sociale » à travers un plafonnement obligatoire et la dégressivité des paiements par exploitation, ainsi que le renforcement du paiement redistributif. Quant au rôle de supervision proposé pour la Commission, quiconque connaît la programmation actuelle du développement rural et des fonds de cohésion peut constater qu’un fonctionnaire européen n’a pas le poids suffisant pour bloquer une proposition adoptée par une assemblée nationale ou régionale élue démocratiquement, et ce même dans les cas où celle-ci irait à l’encontre de l’intérêt général européen ou aboutirait à des distorsions de concurrence sur le marché unique.

Les conséquences environnementales de la réforme proposée

L’utilisation des ressources est un facteur clef de la compétitivité, et les enjeux environnementaux sont au cœur des défis de demain pour l’agriculture européenne. Abandonner le verdissement, socle commun de règles au niveau européen qui conditionne l’accès aux aides de la PAC, équivaut à renoncer à un cadre clair qui place les agriculteurs sur un pied d’égalité dans l’objectif de faire progresser l’agriculture européenne vers davantage de durabilité.

Les écarts de sensibilité entre Etats membres conduiraient fatalement à des divergences dans le niveau d’ambition et à une concurrence par la norme environnementale, et donc par des politiques moins-disantes. Quant aux agriculteurs français, ils connaissent la longue tradition nationale de surtransposition des règles européennes. Ils subissent déjà les tendances françaises, dans le domaine de l’environnement, à « laver plus vert que vert » en prétendant « montrer le chemin » aux autres pays et en basant certaines décisions, par exemple en matière de progrès génétique ou de protection des cultures, sur les tendances de l’opinion plutôt que sur la science. Avec le système proposé, les céréaliers savent qu’ils ne se retrouveront pas dans le camp des moins-disant et des plus compétitifs.

Le projet défendu par les céréaliers

Même s’ils comprennent que le scénario proposé le 29 novembre découle avant tout de la difficulté pour les 27 de s’entendre sur une politique agricole intégrée, les producteurs français de grande culture viennent d'exprimer leur refus de cette « renationalisation de la PAC » COMMUNIQUE DE PRESSE AGPB AGPM CGB FOP

Les producteurs de céréales défendent le projet d’une PAC forte, harmonisée et cohérente. Les paiements directs doivent être établis à l’hectare, de manière fixe et prévisible, avec une distribution simplifiée et homogène aux niveaux européen et national. En la matière, la marge de manœuvre des gouvernements nationaux ou régionaux doit être limitée pour éviter toute distorsion de concurrence majeure: suppression ou unification européenne du plafonnement, de la dégressivité et de la prime « redistributive » réservée aux premiers hectares de chaque exploitation, encadrement strict des aides couplées qui doivent rester ponctuelles et réservées aux situations difficiles, plafonnement de la part des compensations de handicap dans le 2nd pilier, suppression des transferts entre piliers.

Pour les céréaliers, la prochaine réforme de la PAC doit viser avant tout une plus grande résilience des exploitations face aux aléas du climat et du marché, et encourager l’investissement agricole vers des modèles plus efficients et durables. Parmi les idées qu’ils proposent, on peut citer :

  • L’encouragement dans toute l’Europe de l’épargne de précaution, l’outil de gestion des risques le mieux adapté aux spécificités de chaque exploitation, et le plus efficace économiquement grâce à l’absence de coûts d’intermédiation, d’interactions politiques et d’aléa moral. A minima, il est indispensable que toute incitation fiscale nationale à l’épargne de précaution soit reconnue comme légitime dans la prochaine PAC.
  • La généralisation au niveau national de l’assurance climatique soutenue par la PAC. Le nouveau règlement Omnibus prévoit que seuil de perte minimale pour le déclenchement des assurances subventionnées puisse être abaissé de 30% à 20%, ce qui lève un des verrous identifiés dans leur diffusion. Les simulations montrent qu’une généralisation de l’assurance climatique en France avec seuil de 20% et un financement de 65% par le 2nd pilier resterait compatible avec un 1er pilier fort.
  • La mise en place au niveau communautaire d’un fonds de crise tel que le propose le PPE du Parlement européen. Ce fonds devrait être indépendant du budget de la PAC (donc des paiements directs), doté d’une réserve initiale et d’une dotation annuelle capitalisable par report des montants non utilisés. Il pourrait financer des mesures de marché mais aussi soutenir les outils nationaux de gestion des risques. Son caractère budgétairement novateur et sa vulnérabilité aux enjeux politiques nationaux pose la question de son adaptation aux marchés de grandes cultures. Diverses modalités doivent être explorées concernant sa gouvernance et son lien avec les assurances et fonds mutuels nationaux.
  • Le développement de mesures de soutien à l’investissement au-delà des bâtiments d’élevage, qui pourraient représenter au minimum 25% du 2nd pilier dans chaque Etat membre et chaque région, en ciblant quatre types de mesures : le stockage de la ressource en eau, enjeu majeur de l’adaptation au changement climatique nécessaire au développement d’une agriculture de production; les investissements des exploitations dans l’agriculture de précision et les outils d’aide à la décision, qui permettent une plus grande performance économique et environnementale ; les investissements collectifs dans l’agriculture numérique et de précision, par exemple dans le big data ; et les investissements dans la logistique, l’énergie et la bioéconomie.
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